homélie Saint Dominique


Eucharistie à 10h30,
prédication du frère Réginald Baconin dominicain

(Evangile Luc 10, 1-9)

Saint Benoît nous a laissé une règle monastique profonde et belle, qui mérite d’être méditée encore et encore, saint François également, nous a légué une œuvre de grande valeur avec ses lettres, sa règle primitive des frères mineurs. Saint Ignace a laissé à l’Eglise ce trésor des Exercices spirituels, qui en sont devenus le bien commun…

Tous ces grands fondateurs d’Ordres et de communautés religieuses nous ont laissé des traces qui nous permettent d’entrevoir comment l’Esprit Saint les a illuminés et les a inspirés à fonder telle famille religieuse, avec cette spécificité et son identité propre.

Et pour saint Dominique ? C’est en vain que nous cherchons une « œuvre » laissée à la postérité. Au mieux un document administratif de réconciliation d’un hérétique avec l’Eglise catholique, ou une lettre, envoyée aux moniales de Madrid, où il se contente de leur rappeler qu’il faut garder le silence dans le monastère, manger moins et écouter son frère Mannès qu’il leur envoie comme aumônier. Il faut faire un très grand effort pour y trouver ne serait-ce qu’un peu d’édification pour notre vie spirituelle… A ce niveau-là, nous ne pouvons que dresser un constat d’échec. Avec saint Dominique, il faut s’y prendre autrement si l’on veut comprendre, saisir toute la richesse de ce qu’il nous a légué en fondant son Ordre.

Pour cela, nous devons faire un petit exercice. Nous avons écouté dans l’Evangile (Lc 10, 1-9) l’envoi en mission des disciples par Jésus-Christ. L’exercice est simple et suffirait même comme homélie : vous remplacez dans le passage « Jésus » par « saint Dominique ».

Quel est le résultat ? Immédiatement vous reconnaissez Dominique et ses frères. Et c’est là que se situe le cœur de l’héritage de Dominique, le bien qu’il a laissé à l’Eglise. Ce n’est pas la conversion des hérétiques à tout prix ou la poursuite d’une certaine excellence intellectuelle. Non, saint Thomas d’Aquin n’était pas plus ou moins dominicain que saint Martin de Porrès, saint Guillaume Courtet n’était pas plus ou moins dominicain que la Mère Agnès … Ce que Dominique nous a laissé, le trésor qu’il nous a légué, c’est l’invention, ou plutôt la redécouverte de la vie apostolique.

Je ne parle pas là de « vie apostolique » au sens étroit, au sens où nous avons spontanément tendance à l’associer à une vie « semi-cloîtrée » ou « active » dans le monde, je pense à un sens beaucoup plus littéral, de vie apostolique comme « vie à la manière des apôtres ». C’est pour cette raison que l’analogie entre Jésus envoyant ses disciples et Dominique et ses frères saute surtout aux yeux. Il a fondé un Ordre qui épouse trait pour trait la vie des apôtres que le Christ leur a confié. « Comme mon père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jn 20, 21).

Le dominicain, c’est de façon essentielle, un homme, une femme qui a répondu à l’appel de Dieu à vivre cette vie apostolique, à donner toute sa vie à la mission apostolique, à la faire sienne, à s’y consacrer pleinement. Comme les apôtres, le dominicain laisse derrière lui ses filets, ou son bureau de douane et se met à la suite du Seigneur. Comme les apôtres, il vit en communauté avec le Christ au centre comme seul maître dans l’étude, la prière commune et personnelle, l’Eucharistie, les sacrements. Comme les apôtres il fait l’expérience quotidienne de la miséricorde du Seigneur à qui à l’image de St Pierre il confessera son amour s’il venait à le renier, comme les apôtres, le dominicain, qu’il soit frère ou sœur, est envoyé dans le monde en mission annoncer le Salut et l’Evangile, témoin de la proximité pour tout homme du Royaume de Dieu.

Donc si l’on veut saisir et vivre du trésor que Dominique a laissé à l’Eglise, et ne pas absolutiser les représentations certainement très vraies, mais partielles sur l’Ordre des Prêcheurs qu’il a fondé, nous n’avons pas d’autre voie que de l’imiter, et prendre les évangiles, et comme Dominique s’y plonger entièrement.

Si vous lisez les Confessions de saint Augustin, elles sont écrites de telle façon que ce sont les citations de la Parole de Dieu qui forment la trame du récit. Avec saint Dominique c’est pareil, il était tellement pénétré de la Parole de Dieu, qu’elle était devenue sa Parole, qu’il l’avait faite sienne. Jourdain de Saxe, son successeur à la tête de l’Ordre, nous disait de lui qu’il ne se déplaçait jamais sans l’Evangile selon St Matthieu et les épitres pauliniennes qu’il avait fini par connaître par cœur.

Puissent nos communautés religieuses, familiales, paroissiales… vivre avec toujours plus de ferveur de l’héritage de Dominique et être pour le monde témoins de la miséricorde de Dieu, comme lui vivre pleinement de l’Evangile du Christ et de la proximité pour chacun du Royaume de Dieu. Amen !