Homélie de la nuit de Noël


du frère Juan Francisco Correa op

La création est sortie des mains du Père pour être ensuite remise dans les mains du Fils.

Chers amis, belle fête de Noël ! Notre Dieu s’est fait homme, Il est vraiment parmi nous !

Depuis la nuit des temps, l’homme s’est posé la question pour le sens : le sens du monde, le sens de la vie, le sens de la foi. Les philosophes se posent encore aujourd’hui cette question-là. Mais ce n’est pas simplement une affaire de philosophes. Les hommes et les femmes de tous les âges ont voulu y répondre de façons très diverses : certains ont dit que le sens de l’histoire se trouve dans la conquête et le pouvoir, comme l’empereur Octave Auguste qui est mentionné dans l’évangile de cette nuit. D’autres, ont pensé que c’est par la fuite du monde, comme pourrait être le cas de Jean le baptiste. Pour certains, moins connus, comme vous et comme moi, c’est peut-être le travail quotidien qui donne un sens à la vie, chacun dans son domaine. On pourrait évoquer de tas des réponses possibles. Cependant, dans cette nuit lumineuse, où le Soleil triomphe des ténèbres, je vous propose une réponse à partir de la foi.

Nous connaissons tous ce récit sur la création du monde dans livre de la Genèse. Dieu créa tout, et tout était bon. Oui, la création est bonne et belle ! Regardez-vous vous-mêmes, on est tous beaux ! Certes, quelques-uns sont moins beaux que d’autres, mais on a tous de la beauté chez nous. Pourtant, la bonté et la beauté de la création n’étaient pas encore pleinement ce qu’elles devaient être. Attention, cela ne signifie pas que Dieu a fait, dans la création, des êtres incomplets ou défectueux, non ! Mais cette création ne trouve sa plénitude que lorsqu’elle est donnée, comme un cadeau de Noël… je m’explique :

Les cadeaux de Noël, tout seuls dans une vitrine ou dans une boutique, ils ne signifient rien pour personne. Un cadeau de Noël prend un sens, est chargé d’une signification, dès qu’on l’achète pour l’offrir à quelqu’un. Puis, il obtient son sens en plénitude lorsqu’il est offert à son destinataire : au moment où il est offert, un lien est créé entre celui qui offre et celui qui reçoit. Le cadeau est désormais le porteur d’un souvenir joyeux, il est devenu le pont qui relie deux personnes. Il porte en soi le nom de celui qui l’a offert ; et il remplit sa mission, quand il est offert et par conséquent, quand il est reçu par quelqu’un.

Il se passe de même avec la création. Elle n’est autre chose qu’un cadeau de Dieu le Père à son Fils Jésus-Christ. Et nous, comme membres de cette création, nous faisons alors partie de ce grand cadeau de Dieu le Père à son Fils. C’est pourquoi la lecture du prophète Isaïe dit que « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu [dans cette nuit] se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi » (Is 9,1). En effet, notre peuple, l’humanité entière, a trouvé sa lumière, la beauté pleine, la bonté infinie, lorsque le cadeau de la création a été donné au Fils de Dieu, dans ce jour de son incarnation. Ce peuple n’a trouvé un sens que le jour où le Christ, lui aussi, nous a été donné. À partir de cette nuit, la création porte le nom de Dieu : elle est sortie des mains du Père, et marche toujours vers les mains du Fils, comme ce cadeau qui passe de main en main, et qui trouve son sens dans ce passage mystérieux, dans la logique du don.

Dans la nuit de Noël, nuit glorieuse, la création retrouve alors le sens de son existence, et resplendit de lumière. Voilà pourquoi le psalmiste s’exclame : « Joie au ciel ! Exulte la terre ! Les masses de la mer mugissent, la campagne tout entière est en fête » (Ps 95,11-12). Les êtres de la terre, les plantes et les animaux, les hommes et les femmes de l’histoire, apprennent dans cette nuit particulièrement joyeuse, qu’ils existent, qu’ils sont en vie, car il y a un amour débordant de Dieu le Père pour son Fils. Alors, la réponse à la question sur le sens du monde, de la vie et de la foi n’est pas à chercher, comme en science, dans un passé qui expliquerait l’avenir, dans une cause qui expliquerait l’effet. Non ! Nous comprenons aujourd’hui que « tout, dans la Création, [qu’il se trouve dans le passé ou dans l’avenir] converge vers la naissance[1] » de cet Enfant, et y trouve sa raison d’être. Il est, Jésus le Christ, « la raison secrète du monde[2] ».

En contrepartie, le Fils s’abaisse de sa condition divine pour accepter, assumer et aimer le cadeau que son Père lui offre. Le Fils se fait un homme comme nous, pour recevoir la création entière dans ses bras. Cet enfant, si faible et si petit qu’il soit, a la capacité de tout prendre dans ses bras pour se l’approprier, pour l’aimer et le garder, et en définitive, pour le sauver. À partir de cette logique nous pouvons tirer la conviction qu’il n’y a pas de péché, ni de tâche, ni de souillure qui puisse nous séparer « de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 8,39).

Comme le cadeau que nous sommes pour ce Jésus enfant, nous sommes déjà dans ses mains. Il fait de nous, comme dit l’apôtre, « son peuple, un peuple ardent à faire le bien » (Tt 2,14). Alors, réjouissons-nous, puisque nous lui appartenons depuis toujours et pour toujours. Il nous aime dès avant notre existence, puisque nous sommes à Lui, nous sommes sa propriété. Cette nuit la logique est renversée : n’attendons pas de cadeaux [sauf les enfants !], mais soyons-nous les cadeaux pour cet enfant Jésus, et pourquoi pas, pour ceux qui sont à nos côtés.

Amen


[1] Martin Steffens, Marie comme Dieu la conçoit, Les éditions du Cerf, Paris, 2020., p. 105.

[2] Ibid.